Prévenir les risques terroristes

Le 11 septembre 2001, notre société occidentale a été confrontée de manière brutale à un évènement terroriste majeur, et vit depuis avec une certaine crainte sécuritaire.

Ce jour-là, tout un chacun a pu constater que la guerre n’est plus seulement le résultat de luttes d’influences entre Etats sur des champs de bataille classiques, mais aussi des guerres hybrides ou asymétriques. De ce fait, chacun vit peu ou prou sur ce qui est considéré comme un endroit de conflit potentiel avec son lot d'effets collatéraux et la crainte d'y laisser sa vie.

Nous savons que, statistiquement, ce sentiment est surévalué, mais l'Etat se doit d'assurer la sécurité intérieure de manière efficace pour les habitants de son territoire comme pour la bonne marche de l'économie et de la société. Mais nous ne pourrions trouver mieux que cette citation de Jean-Marie Poirier pour décrire la situation pour le moins complexe entre sentiments, réalités et mesures à prendre :

« Le grand mal de notre époque, c'est l'inquiétude : on est prêt à tout pour s'assurer un peu de sécurité, même à aliéner sa liberté. »

Que se passe-t-il au niveau mondial ? Nous nous devons de commencer par ceux qui ont ouvert les feux des outils de surveillance forts, à savoir les Etats-Unis et leur célèbre "Patriot Act (Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act)". Dans la pratique, cette loi autorise les services de sécurité à accéder aux données informatiques détenues par les particuliers et les entreprises, sans autorisation préalable et sans en informer les utilisateurs. On ressent bien un premier malaise, et c'est cette loi qui pousse notre pays à réfléchir à la souveraineté numérique pour éviter, dans les faits, de livrer nos données à l'Etat américain. Rajoutez-y la possibilité de faire des perquisitions sans présence de la personne concernée, l’utilisation, de ces outils hors de la sphère des actes terroristes, et vous serez conforté que la question de la proportionnalité d'une telle loi se pose.

Nos voisins européens se débattent aussi dans l'arsenal légal de punition et prévention, la boîte noire de surveillance de l'internet français en est un exemple. Pour une société libérale où la sphère privée et la liberté d'expression doivent rester des valeurs sûres, il faudrait pour le moins éviter de plonger dans un monde de suspicion où l'Etat à la possibilité de fouiller dans les données et les comportements de chacun. 

Nous savons que le risque ne peut être totalement éliminé et que ce sont les derniers pourcents qui sont couteux. Ne prenons pas le risque de tuer nos libertés pour se payer un peu de sécurité supplémentaire.

Où en sommes-nous en Suisse ? Il faut avouer que nous avons été longtemps naïfs et que notre arsenal légal était pour le moins lacunaire. Comme membre de l'espace Schengen, nous avons bien senti l'inquiétude de nos partenaires que la Suisse devienne une plaque tournante de la préparation d'actes terroristes ayant pour cible des pays européens. Pour éviter ce trou sécuritaire pouvant favoriser la terreur, il était normal et urgent d'agir.

Plusieurs outils ont été instaurés, à commencer par la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme. Il était enfin temps de se doter de moyens modernes et de sortir de la Loi fédérale interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «Etat islamique». En effet cette loi d'interdiction était un bricolage nécessitant des modifications fréquentes d'ordonnances pour suivre les différentes mouvances qui traversent ces organisations terroristes. Avec cette mise en œuvre, Il devient possible de poursuivre pénalement, moyennant des preuves, les activités menées avant un acte terroriste : recrutement et entraînement pour le terrorisme, voyages à des fins terroristes, financement de ces voyages, financement d'organisation terroristes et préparation d'actes.

Un autre outil permettant de renforcer la surveillance de préparatifs, est la mise en vigueur d'une loi sur les précurseurs d'explosibles. Certains, et ce sont de ceux qui soutiennent les mesures préventives contre le terrorisme, ont crié au loup sous prétexte de liberté économique et de commerce. Mais n'exagérons rien, limiter l'accès aux précurseurs de substances explosibles pour les non-professionnels est un bon moyen de diminuer les risques. Là encore, un outil proportionné qui permet de récolter des indices de préparatifs sans restreindre de manière critique les libertés individuelles des citoyens. Ce d’autant plus que les professionnels se sont montrés presque soulagés qu’on les aide à éviter des ventes conduisant à des actes terroristes.

Nous n'avons pas encore abordé la prévention, à savoir comment diminuer le risque que des personnes agissent de manière répréhensible, se radicalisent ou tombent dans les griffes d'organisations terroristes. C'est le Plan d'action national de lutte contre la radicalisation et l'extrémisme violent qui est la pierre angulaire du système de prévention. Avec ce plan, accompagné de mesures et d'un programme d'impulsion, toutes les couches de l'Etat ainsi que les organisations concernées de la société civile sont engagées dans un système de veille et de prévention qui fait ses preuves. Comme il se doit dans un tel cas, cette action préventive se déroule hors intervention policière ou judiciaire. Ce sont uniquement les actes répréhensibles qui doivent conduire à l’action de la police et de la justice.

La lutte contre le crime organisé et contre les organisations terroristes place les Etats face à des défis énormes qui ne sont de loin pas encore réglés par la mise en œuvre de nouveaux outils. Ils doivent faire face à des structures complexes, extrêmement bien organisées en réseaux tentaculaires. C’est en analysant ces structures que l'on se rend compte qu'il faut des compétences énormes et beaucoup d'agilité pour baisser les risques. C’est pour cela que le Conseil fédéral, suivi par le parlement, a considéré malheureusement que ces outils n’étaient pas suffisants et a introduit des mesures dites de prévention essentiellement dans les mains de la police fédérale. Il s’agit des fameuses « Mesures policières de lutte contre le terrorisme ». Il devient alors possible pour la police fédérale, sur de simples soupçons et dans la plupart des cas sans intervention de la justice, de prononcer des mesures normalement réservées à des personnes qui ont été condamnées ou qui sont sous le coup d’une procédure judiciaire. Ici, nous jouons dangereusement avec les droits fondamentaux de nos citoyens et risquons des dérives sécuritaires fâcheuses. Et lorsque certains parlementaires en appellent à la création de placement sécurisé pour les personnes présentant un danger pour l'État, ce n’est pas pour rassurer.

Il est légitime de demander à l’Etat d’assurer la sécurité intérieure, mais comme dans tous les domaines de la sécurité, la proportionnalité des mesures doit toujours être questionnée. Nous savons que le risque ne peut être totalement éliminé et que ce sont les derniers pourcents qui sont couteux. Ne prenons pas le risque de tuer nos libertés pour se payer un peu de sécurité supplémentaire.

Texte publié dans le Magazine Forum Sécurité - édition printemps 2022

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